L’avocate qui dénonce la DPJ

CHRONIQUE / Quand Valérie Assouline a accepté de prendre un premier dossier de DPJ, elle ne se doutait pas qu’elle venait d’ouvrir une véritable boîte de Pandore.

Elle n’a pas l’intention de la refermer.

Son premier dossier, c’est celui de la grand-mère et de la mère de la fillette de Granby qu’elle représente au civil, elle n’a pas hésité une seconde avant de dire oui. Elle le fait pro bono, ça veut dire qu’elle ne demande rien en retour, pas un sou, les deux femmes n’ont pas les moyens de se payer ses services, surtout pas avec le montant ridicule que prévoit l’aide juridique.

Puis elle en a pris un deuxième dossier, en facturant une fraction des heures qu’elle y consacre, le couple ne fait pas de gros salaires. Ça fait au moins un an que les deux parents essayent de trouver un avocat, ils ne comptent plus les refus.

Ils ont essayé le sociofinancement et ont récolté 10 $.

Ils sont nombreux d’ailleurs à frapper aux portes des bureaux d’avocats pour en dénicher un qui prendra leur cause. Les dossiers de DPJ sont souvent lourds et compliqués, ils demandent beaucoup de temps. Une mère m’a fait parvenir une réponse reçue : «Je n’ai pas regardé vos courriels, mais devant la quantité, je dois me résigner à vous dire que je ne pourrai pas prendre votre dossier. Ça me semble très volumineux et je n’ai pas le temps nécessaire pour bien vous servir.

«Je vous souhaite bonne chance.»

Un classique.

Le nom de Valérie Assouline s’est donc répandu comme une trainée de poudre dans l’univers des parents qui ont maille à partir avec la DPJ et qui cherchent désespérément à se faire entendre. Sa messagerie a été prise d’assaut. «J’ai reçu au-delà de 600 histoires, ça m’empêche de dormir…»

Elle a «des boîtes et des boîtes de preuves».

Elle ne s’attendait pas à ça. «Je pensais au début que c’était quelques cas isolés, jamais je n’aurais pu penser qu’il y en avait autant. Il y a des injustices grossières. Il y a des intervenantes qui travaillent bien, je les remercie, mais il y en a aussi qui abusent de leurs pouvoirs.»

Elle réclame un sérieux coup de barre. «La loi est faite pour protéger les enfants vulnérables, le problème n’est pas là. Le problème est dans l’application de la loi. Il y a des interventions qui sont insensées. […] Il faut faire la part des choses, il y a des interventions qui sont extraordinaires, c’est un travail qui est difficile, mais je me dénonce ce qui doit l’être.»

Comme Granby.

Comme tant d’autres.

Des exemples, elle en a un et un autre. «Il y a quelques semaines, on a retiré un bébé d’une semaine, on l’a envoyé chez le père toxicomane. […] Et cette mère qui a appelé pour violence conjugale» qui a vu son appel à l’aide se retourner contre elle, la DPJ lui a reproché d’exposer ses enfants à un conflit d’adultes.

Un autre cas, une intervenante qui annonce sans plus de cérémonie «à une fille de 13 ans : “Tu ne verras plus ton frère, il a été adopté.” Ça me révolte.»

Devant tout ça, elle a décidé de dénoncer, pour exposer ce qu’elle constate, pour que des changements soient apportés. «Si je ne le fais pas, pourquoi je suis avocate? Il faut le dénoncer, je dois le dénoncer, je n’ai pas le choix, c’est trop grave.» Elle a demandé à être entendue par la commission Laurent sur les droits de l’enfance et la protection de la jeunesse, elle attend une réponse. «Mais on ne peut pas attendre un an et demi, il faut agir maintenant. La magie de l’enfance, ça ne dure pas longtemps.»

Et on la brise, trop souvent.

Née au Maroc, arrivée à quatre ans au Canada, Valérie Assouline a étudié à l’Université de Mont­réal en sociologie et en droit. «J’ai été portée vers le droit de la famille, j’ai fait surtout des dossiers de garde. Mais c’est surtout en tant que mère que je dénonce.» Elle a quatre enfants, âgés entre 8 et 15 ans.

Ces propos n’engagent qu’elle-même.

En attendant la commission, Valérie Assouline publie sur Facebook le résumé des cas qu’elle reçoit. «Il y a un pattern. On dirait que le baromètre du danger est rendu au point où on voit du danger partout, on identifie comme du danger ce qui n’en est pas, et on retire les enfants». Au lieu d’aider certains parents, on les disqualifie.

Et il y a l’inverse, comme Granby.

Son autre cheval de bataille, les visites supervisées. «La DPJ place un enfant et donne des visites supervisées de deux heures aux deux semaines et après, ils vont évaluer le lien d’attachement. Comment voulez-vous développer un lien d’attachement comme ça? Et c’est eux qui l’ont brisé…»

Et «si le parent se plaint, on lui réduit».

Selon ce qu’elle voit, la DPJ se tourne trop souvent vers ces visites où parents et enfants sont confinés dans une pièce, où chaque mot qui est prononcé, chaque geste qui est posé, sont analysés. «Si on n’accaparait pas autant d’intervenantes dans ces visites supervisées, il y en aurait plus pour aller sur le terrain.»

Il y aurait moins de listes d’attente.

L’avocate fonde «beaucoup d’espoir» sur la commission Parent — qui amorce ses travaux le 22 octobre —, elle souhaite que l’exercice mène à de réels changements. «Il faut vraiment que ça change. Les Québécois payent cher [pour le réseau de protection de l’enfance], ils ont le droit de savoir.»

Même chose pour la mort de cette fillette qui a secoué tout le Québec en avril après être passée tout droit entre les mailles du filet. «Il y a des faits qui vont sortir sur Granby, il ne faut pas que la petite soit morte en vain.»

QUELQUES EXEMPLES

«Vous achetez les meubles de la nouvelle chambre de votre poupon, vous l’attendez avec fébrilité. Une intervenante arrive avec des policiers à l’hôpital pour vous le retirer alors qu’elle ne vous a pas parlé durant toute votre grossesse.»

«Vous êtes victime de violence conjugale. Vous appelez les services sociaux pour obtenir de l’aide et subitement, vous vous retrouvez avec des accusations d’aliénation parentale faisant en sorte que vos enfants sont placés avec l’agresseur.»

«Une enfant est placée à la naissance chez sa grand-mère parce que sa mère a des problèmes de consommation. Jusque-là la loi et son objectif sont respectés. L’enfant grandit bien, est épanouie jusqu’au jour où une intervenante, après six heures de rencontre avec cette grand-mère, décide qu’elle ne passe pas le test de famille d’accueil. Le verdict est final! Cette enfant sera placée en banque mixte d’adoption. L’enfant a 22 mois, sa chambre est chez sa mamie, elle y voit ses cousins, ses amis à la garderie, ses tantes, ses oncles… du jour au lendemain, elle sera complètement coupée de tous ses repères… aujourd’hui, j’ai rencontré deux grands-mamans avec la même histoire.»

«Enfant en famille d’accueil parce qu’il y a un conflit de séparation entre les parents. Il voit ses parents une heure ou deux aux deux semaines dans un local de la DPJ. À chaque fois qu’il retourne en famille d’accueil après ses visites, il est triste d’avoir quitté ses parents. Parfois il lui arrive de pleurer, ses parents lui manquent. Normal. Dans sa tête d’enfant de cinq ans, il se sent abandonné. Il n’avait jamais dormi loin de ses parents avant d’être retiré de sa maison. Eh bien, que font les intervenants dans ce temps-là, selon vous? Ils augmentent les contacts? Non! Ils arrêtent les rencontres! Ils retournent à la cour en urgence avec aucun préavis et demandent soit de diminuer les contacts soit de les suspendre?!»

«En tant qu’avocate en droit de la famille et conformément à mon code d’éthique professionnelle, je soumets très rarement des preuves à la partie adverse sans respecter un délai minimum pour que cette dernière se prépare à répondre à mes arguments. Dans le monde de la DPJ, sachez que c’est souvent le matin même du procès que les parents apprennent les motifs de compromission et les demandes de la directrice. Ces parents n’ont donc souvent pas le temps de trouver un avocat, de répondre ou de réfuter les accusations et les allégations.»

Mylène Moisan, Le Soleil

 

Voir l'article: https://www.lesoleil.com/2019/09/30/lavocate-qui-denonce-la-dpj-70947eb604f2b16d1dd0760cc6cfe0eb?nor=true

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